Empire ottoman de 1800 à la veille de la Première Guerre MondialeSource carte: Philippe Rekacewicz — août 1992
L'état actuel du proche-orient que nous connaissons, ses frontières et ses conflits, résulte en grande partie de la lente désagrégation de l'Empire ottoman qui s'amorce vers 1600 peu après la bataille de Lépante.
Son effondrement s'accélère plus visiblement vers 1800 avec l'émergence des nationalismes et se conclut par la création de l'état national turc en 1923.
En 1800, la situation de l'Empire est précaire, la corruption la mine, la volonté croissante d'indépendance des peuples provoque la dissidence de régions entières ou leur assujetissement à des puissances étrangères.
Durant tout le XIX° siècle,
les puissances impérialistes (France, Grande Bretagne, Russie, Allemagne et Italie) agissent pour coloniser le pourtour méditerranéen en usant de moyens militaires, financiers et diplomatiques. La France s'implante en Algérie et en Tunisie, la Russie s'avance sur les rives de la mer Noire. L'Italie lorgne vers la Lybie, la Grande Bretagne annexe Aden, l'Egypte, Chypre et le Soudan.
Non seulement, "l'homme malade de l'Europe" comme on appelle cet Empire se fait dépecer par les Européens, mais il subit aussi les guerres d'influence colonialistes auxquelles les Puissances se livrent sur son territoire. L'Allemagne joue la carte de la Turquie contre les britanniques qui menacent militairement l'Empire afin de conserver leur influence sur les ports au détriment des Russes qui restent bloqués par le bouchon du Bosphore.
L'Allemagne renonce à ses ambitions territoriales mais décide d'investir capitaux et technologie, ainsi elle fera de la turquie son allié pour la première guerre mondiale: modernisation de l'armée turque, construction de la ligne de chemin de fer de Damas qui relie la Méditerranée au golfe persique.
La France défie les Britanniques en ouvrant le canal de Suez, ce qui entraîne un conflit dont les Anglais tirent les bénéfices en contrôlant les revenus financiers du canal.
La France et l'Espagne prennent pied au Maroc, la Russie progresse aux bords de la mer Noire, les Anglais envahissent l'Afganistan et contrôlent les ports du Golfe.
A cela s'ajoute
le réveil des nationalités, largement soutenu par les Européens (Serbie, Grèce, Monténégro, Roumanie, Bulgarie, Albanie).
En Arménie, les massacres débutent à la fin du XIXième siècle, pour s'achever par un génocide systématique en 1915 (1,5 millions de morts). Le Liban en tant que région chrétienne bénéficie encore d'un statut protégé.
L'Empire se réduit petit à petit aux contours de la Turquie, Syrie, Iraq et Palestine. Malgré les tentatives de réformes des sultans, en 1909, Abdul-Hamid II est déposé et le gouvernement "Jeunes Turcs" prend le pouvoir.
Le sultanat sera aboli définitivement en 1923, le califat en 1924.
La Turquie entre en guerre et sa défaite complète parachève le démembrement de l'Empire. Elle est réduite à ses frontières actuelles. Avec la volonté de
Mustapha Kémal et de ses partisan, l'Etat turc est fondé sur une volonté laïque de moderniser et occidentaliser la société. Elle s'appuie sur un nationalisme féroce qui assure la cohésion de la société turque.
Les Puissances européennes se partagent l'Empire en se faisant donner
les "mandats" des régions conquises par la Société des Nations. La France reçoit la Syrie et le Liban; l'Iraq, la Palestine et la Transjordanie échoient à l'Angleterre. Le Yemen et l'Arabie Saoudite se constituent de façon autonome par la réunion de petits territoires.
D'un point de vue économique, c'est la curée.
Le pétrole commence à aiguiser les appétits en Perse (création du groupe anglo-persian, futur British Petroleum), le coton égyptien dont les cours s'envolent avec la guerre de Secession attire les investisseurs qui débutent la construction de barrages destinés à l'irrigation. Celle-ci se développe en Iraq. La soie libanaise, le vin algérien, la culture des agrûmes et de l'olivier entraînent un courant exportateur qui permet le développement fulgurant des ports et des capitales: Alger, Le Caire, Téhéran, Istanbul, Casablanca, Alexandrie et Beyrouth.
L'Empire ottoman n'est plus, la poussée des nationalités et de l'impérialisme européen ont eu raison des cinq siècles de domination turque sur le pourtour méditerranéen.
Restent aux Européens à transformer l'essai et s'imposer dans la région pour en retirer les bénéfices.
Les accords secrets Sykes-Picot et ses suites:Les Ottomans de plus en plus acculés décident de déclencher un djihad ou Guerre Sainte contre les occidentaux et ainsi tenter de les toucher dans les régions qui échappent désormais à leur contrôle. Français et Britanniques déclenchent alors en 1915 la guerre dite des Dardanelles (détroit qui contrôle l'accès à la mer Noire et à Istanbul depuis la mer Egée).
Lawrence d'Arabie mise sur la renaissance d'un monde arabe libéré de l'emprise ottomane et soutenue par la Grande Bretagne. Les Bédouins acceptent cette tutelle dans le but d'obtenir la création d'états indépendants. De leur côté, les Français ont le projet de créer une France du Levant englobant Liban et Syrie. Ces deux zones d'influence se heurtent, les Russes exigent, eux aussi, leur part du gâteau.
La nécessité de s'entendre sur ce partage naît dans l'esprit des diplomates qui n'ont pas oublié les cruelles escarmouches franco-anglaises de la conquête africaine.
Le Français George Picot et l'Anglais sir Mark Sykes négocient pendant de longs mois un traité qui restera confidentiel au sujet du démembrement de l'Empire ottoman et qui est rédigé le 7 mai 1916, adressé aux chancelleries le 9 et signé le 16.
Texte Sykes-Picot: http://medintelligence.free.fr/textprem.htm#Sykes-Picot
L'évènement est d'importance car il va conditionner tout le siècle des guerres proche-orientales à venir.
Source carte: Wikipedia
La
France reçoit le Liban, la Syrie, une extension s'enfonçant en Iraq jusqu'en Mésopotamie (Mossoul et son pétrole) et une partie de l'Anatolie (Cilicie). (zones bleues)
La
Grande Bretagne reçoit le reste de l'Iraq, la région proche de Jerusalem (sans la ville) et Haïfa et sa région. (zones rose et rouge + Haïfa)
La
Palestine est "internationalisée" et contrôlée par les deux puissances. (zone brune)
L'
Italie reçoit le sud-ouest de l'Asie Mineure.
La
Russie obtient les détroits ainsi que Istanbul.
La Grande Bretagne promet aux
Arabes de La Mecque (Hachémites) la création d'un état "indépendant" sous protection britannique. (Lettres Hussein-Mac Mahon). Ils donnent leur accord pour la création d'un
foyer national juif en Palestine (Déclaration Balfour) en 1917.
Texte Balfour: http://medintelligence.free.fr/textprem.htm#Balfour
Après la Première Guerre Mondiale, le sort de la Turquie est fixé par le
Traité de Sèvres (1920):
source carte: www.atlas-historique.net
Création d'un état arménien (zone turquoise)
Traçage des frontières sud de la Turquie
Internationalisation de Istanbul et des détroits (hachuré rouge)
Région de Smyrne donnée à la Grèce (jaune)
La Turquie entre en guerre avec la Grèce et massacre les populations grecques et arméniennes civile de Smyrne (100 000 morts). La grèce abandonne l'Asie mineure et s'ensuit un échange de population entre grecs d'Asie et Turcs d'Europe.
Le
Traité de Lausanne (1923) restitue Smyrne, la Thrace, l'Arménie et le Kurdistan à la Turquie. Le rêve d'indépendance des dernières communautés non turques s'envole.
L'approche politique des puissances anglaise et française diffèrent. Les Britanniques, pragmatiques et tacticiens (pétrole en jeu) misent sur le nationalisme des populations (Arabes, Kurdes, Arméniens, Juifs) qui en attendent un soutien économique et militaire pour fonder leurs états.
Les Français jouent la carte culturelle et de l'assimilation: développer un Levant francophone et francophile.
Ces deux conceptions ont abouti et permirent aux Anglais et Français de maintenir leur zone d'influence presque tout le XXième siècle.
La France va cependant abandonner la Syrie (trop lourde à administrer) pour se replier sur un Liban francophone et chrétien. Les Britanniques rencontrent quelques difficultés avec leurs alliés arabes qui s'opposent au sionnisme.
Le pétrole est pourtant bien partagé entre les USA, les Pays-Bas, la Grande Bretagne et la France à parts égales: chacun 23,75%, les 5% restants échurent à Calouste Gulbenkian qui monta le consortium et devint le mécène que l'on connaît.
On l'a vu, le démantellement de la Sublime Porte n'a pas conduit à régler la "Question d'Orient", mais a permis aux Occidentaux de contrôler les richesses, quitte à tracer des frontières iniques qui tiennent plus compte du partage à réaliser entre grandes puissances qu'aux nécessité de respecter la cohésion de groupes culturels et de confessions différentes. Jusqu'à la Palestine dont le tracé si complexe des territoires (Cis et Transjordanie) résulte de la nécessité pour les Britanniques de s'assurer un passage depuis les ports jusqu'en Iraq et le passage des oléoducs en provenance de la péninsule arabique.
Aujourd'hui les conséquences de ce démantellement grossier menacent la sécurité du monde. L'ONU, comme la SDN naguère, demeure impuissante à échaffauder de nouvelles solutions. Les puissances restent trop préoccupées par le contrôle et l'exploitation des richesses pour se soucier de la paix des peuples de cette zone. Le risque aujourd'hui, après un siècle d'exaspération, pourrait venir de la poussée des fondamentalismes de tous bords dont les "solution" plongeraient la région et une partie du monde dans le chaos. Cette Histoire permet de comprendre que tracer des frontières est un acte de paix capital et ne peut être un droit au butin pour celui qui les dessine. L'impéritie des diplomates du passé nous montrent que l'exclusion des peuples de ces grandes décisions entraîne nécessairement des ressentiments suscitant haine et guerres.
Sources:Encyclopædia Universalis
Atlas de l'Histoire Mondiale (Albin Michel)
Le Monde diplomatique (Avril 2003)
Pas Wikipedia (en dehors de la carte des accords Sykes-Picot) en raison d'erreurs manifestes.