Billet du 22.09.06
Ta mère en short, Juppé en vélo!Avant hier midi, reprenant ma voiture en sortant de chez moi, je me retrouve bloqué derrière un aréopage de messieurs à bicyclette, manifestement trop bien vêtus pour n'être que de simples cyclistes en goguette.
Trois à quatre de front, impossible de les doubler, ils occupent toute l'avenue alors que la courtoisie élémentaire ( et le code de la route) devraient les obliger à se ranger en file indienne. Etant moi-même essentiellement cycliste à Bordeaux, je respecte les deux roues et ne les invective jamais.
Leur allure, qui plus est, se rapproche de celle de la tortue, obligeant le lièvre que je suis à patienter. Ils avaient l'air très satisfaits d'eux-mêmes, ils paradaient.
Sur le trottoir, un jeune homme portant caméra les suivait en trottinant, filmant l'inoubliable scène!
Réveillant ma vigilance assoupie par le frugal repas dont je sortais, de simples pommes de terre (rattes du Touquet) accompagnant un filet de cabillaud, achevé par un solide morceau de camembert fermier et quelques prunes d'Ente, je m'aperçus que le vélo principal était enfourché par Monsieur Alain Juppé, ancien Maire de Bordeaux.
Revenu précipitamment d'un exil dans la Belle Province commandé par le besoin de se faire oublier après une vilaine affaire de finances truquées au RPR qu'il couvrit avec bienveillance, il entame sa campagne municipale rendue possible par la démission bien à propos de Monsieur Hugues Martin (maire) et de tout le conseil municipal il y a quelques jours qui ainsi lui ouvre la place forte.
La chevauchée (peu fantastique) devait être une des étapes de la reconquête de la bonne (voire bonasse) ville de Bordeaux. Le quartier attaqué ce jour-ci (Saint Augustin) ne se doutait pas de l'honneur qui lui était fait et allait se rendre de bonne grâce (ici on vote à droite à 60-70%). Les murailles tomberont facilement.
La majesté de cet équipage, sa bonhomie, sa fierté d'elle-même (chaque visage étant illuminé d'une félicité digne d'une extase mystique) m'évoquait furieusement les souveraines promenades aux jardins de Versailles de feu Louis le Quatorzième entouré de ses courtisans, ébahis par l'insigne honneur qui leur était ainsi fait.
Mais la scénette avait également quelque chose de burlesque, on pensait à un Monsieur Jourdain qui (toutes proportions gardées) se vêt des habits de la classe bobo (habits du quartier).
Ce cocasse décalage, le citoyen Juppé et ses acolytes ne le perçoivent pas. La vision de cette visite électorale, donnant à voir le Prince et sa Cour, se mirant dans l'objectif avec un naturel (trop) feint, devant ses administrés est aussi surprenante que la fable du roi dont le tailleur vantant les qualités d'un tissu impalpable le fit se pavaner nu devant les sujets de son royaume.
Cette artificialité qui masque une probable rigidité longtemps reprochée à cet énarque ne cède pas devant ses louables efforts.
Quelle est, alors, la représentation qu'a le politique de lui-même et de ses administrés? Se doit-il de sacrifier à ces bains de foule (foule bien clairsemée il est vrai) dans une mise en scène (forçons le trait) du Roi allant toucher les écrouelles du bon peuple? Cet homme certainement plus coutumier des voyages en classe affaire et voiture avec chauffeur se sent-il obligé de singer l'électeur qu'il convoite tout en conservant l'attitude d'une classe protégeant ses privilèges?
Cette scène des plus anecdotiques m'a surpris (à moitié) car elle contraste avec le Juppé que l'on rencontre facilement, le dimanche matin au marché, achetant sa tranche de jambon, au parc où il promène sa progéniture.
Avons-nous besoin pour offrir nos voix, d'être soumis à cette condescendance à peine voilée, à cette attitude empruntée à la maladresse calculée, à ce paternalisme qui ne dit pas son nom?
Quel échange peut-on vraiment avoir avec cet homme entouré de ses 10 (futurs) adjoints, le tout sous l'oeil d'une caméra?
Serions-nous sensibles à un Juppé en jeans et bras de chemise, à pied ou seul sur son vélo faisant du porte à porte comme un candidat écolo, serrant des mains populaires, écoutant des propos biens bistrotiers?
Son prédécesseur qui lui tint la place au chaud durant ses vacances de deux ans, n'avait pas démérité, lui, en venant sonner à ma porte un dimanche matin, à pied, simplement accompagné d'une adjointe à l'air affable. Il n'y avait, il est vrai, aucune caméra pour l'immortaliser ainsi.
Je me souviens de la stupéfaction du Prince consort du Danemark (l'é-pou! pou! pou! de la Reine) en visite privée en France, dans sa voiture familiale qui vit des motards de la Maréchaussée lui intimer l'ordre impérieux de se garer dans la boue du bas-côté de la route de campagne afin de laisser passer la procession des 4 ou 5 voitures d'un secrétaire d'état aux champs. "Jamais un élu ou un membre de la famille royale ne se permettrait une telle arrogance à l'égard de ses administrés, un tel comportement déclencherait un scandale politique."
Le Français demeure un indécrottable royaliste, le Prince qui descend du trône "en toute simplicité" pour se rapprocher de son peuple suffit à le flatter.
Tout ceci est bien futile et sans importance, Monsieur Alain Juppé mène sa campagne tambour-battant, serre les mains sur les marchés, organise des réunions publiques, s'invite aux dîners privés de ses adjoints qui ouvrent leur table pour l'occasion à une clientèle choisie.
Tout à fait honorable et réconfortant de civisme républicain venant d'un futur maire à qui la ville est offerte. Il exécute humblement son rôle de candidat, seul, sans opposition motivée désireuse de tenter sa chance.
Une fois de plus, il n'y aura pas de débat démocratique.